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L’objectif ici est de commencer à créer une liste de raisons qui pousse un écrivain à écrire, quelle que soit la teneur du texte. J’apprécierai des suggestions soit pour les éléments, soit pour les révisions ; qu’elles viennent des écrivains ou de ceux qui ne se sentent pas concernés par l’écriture.
Les raisons pour lesquelles je cherche à établir une telle liste sont :
- Pour voir plus clairement, quand il s’agit d’un texte en particulier, pourquoi je suis en train de l’écrire. Que cherche-je comme résultat ou comme processus ?
- Pour offrir aux autres rédacteurs du journal aue je dirige, et aussi à moi-même dans mon rôle de rédacteur en chef, un moyen de mieux comprendre les textes qui arrivent dans notre boite mail.
Le pourquoi ici se réfère à ce qu’Aristote a identifié comme la cause finale—le « telos », ce que l’écrivain cherche comme résultat de ses efforts. Qu’on prenne en compte le fait que mes efforts ici, dans cette ébauche, sont « primitifs » : incomplets et manquant une élaboration de rapports entre les éléments. (Une esquisse sur l’utilisation ici du mot « primitif» se trouve ci-dessous.)
Finis la mise en scène ; voici, donc, la liste, et « au petit bonheur la chance » :
- Pour essayer de se faire admirer, par exemple, pour son style, génie, l’amplitude ou la profondeur de ses études. (A ne pas ignorer : On cherche souvent l’admiration de ses parents, même s’ils sont déjà morts. Et notre quête d’admiration et de reconnaissance peut se jouer dans un monde d’êtres qui vivent surtout dans nos têtes, où se jouent les espérances et les demandes parentales et sociales que nous y abritons.)
- Pour gagner du fric ou la célébrité (ou bien s’assurer un poste permanent dans une université).
- Inspirer par ce que le psycho-analyste anglais R.D. Laing a nommé “ontological anxiety” (l’insécurité ontologique). Nous écrivons dans l’espoir que ce texte, ou bien l’acte d’écrire sur papier ou en pixels, prouve—à « moi » (à n’importe quel « moi ») et aux autres, au monde—que j’existe ou que j’ai existé. (La version littéraire d’une « selfie » ?)
Notons que quand nous cherchons à être admirer, à devenir célèbre ou à prouver notre existence, il se peut que nous soyons amenés à exagérer, à écrire des phrases provocatrices ou iconoclastes. On pourrait dire que ces voies de l’écriture visent à attirer l’attention vers soi, vers l’écrivain. Et que les textes qui cherchent à obtenir quelque chose des autres—la publication, un poste, de l’argent, des louanges—répondront aux besoins et aux goûts de ces autres-là. On pourrait appeler ces textes-ci conformistes dans la mesure où ils répondent aux règles explicites ou implicites de ceux qui sont en position de donner à l’écrivain (ou de lui soustraire) ce qu’il cherche.
Encore à la tâche :
- Pour explorer une idée ou un ensemble d’idées—par exemple au cours de la préparation d’un autre texte, plus perfectionné, ou pour une conférence, etc. (Le texte que j’écris actuellement—cette liste—trouve sa place, j’imagine, ici.)
- Pour immortaliser quelque chose qui s’est passé, ou une pensée, pour qu’elle soit revisitée et reconsidérée à un autre moment, par les enfants, sinon la postérité.
Si on rappelle la classification freudienne des stades de développement de l’enfant, et en particulier le stade anal avec ces deux pôles de rétention et expulsion, on pourrait constater que l’artiste et l’artisan fabrique quelque chose qui vient de l’intérieur à l’extérieur. Sur ce mode notez que ce quelque chose, quoique fabriqué à l’intérieur, est un amalgame d’éléments—des influences, des idées, des espérances, de l’encouragement—qui viennent de l’extérieur, qui ont été intériorisés. On pourrait, plus loin, se demander si les artistes en général ont une tendance—qui manque aux autres êtres humains—à être fier des produits qu’ils confient au W.C. ?
Ne fléchissant pas devant les égarements de nos esprits :
- Comme un exercice, un entrainement, qu’il soit éprouvant ou divertissant. (On pourrait imaginer que l’exercice qui est l’écriture produit des hormones qui donnent du plaisir, de même qu’ils sont produits quand on s’entraine à la gym ou participe à une séance de yoga.
- Pour réclamer un statut ou une identité (qu’elle soit éclatante ou sombre)—une identité recherchée par l’écrivain. Par exemple, il se peut qu’un « moi-écrivain » veuille suggérer qu’il a avant tout du génie ou qu’il est généreux avec ceux qui n’ont pas toute la chance et tous les talents que Dieu ou Darwin lui ont donnés.
- Parce qu’on doit le faire : un instituteur ou un chef a confié à notre écrivain—ou écrivain involontaire ?— la tâche d’écrire quelque chose.
- Pour se connecter ou papoter avec un ami (ou comme si les lecteurs étaient des amis). Ce serait un partage des nouvelles, des pensées, des sentiments.
- Pour exprimer la rage, se débarrasser des fortes émotions. « Bien que je n’ignore pas mon impotence—bien que je ne puisse pas casser les machines, les entonnoirs et les dispositifs qui me pulvérisent, emballent et ligote—je vais avoir mon mot à dire ! Voilà ce que j’en pense et ce que j’en sens surtout ! » (Cf., Kierkegaard, Gjentagelsen—La répétition ou La reprise) : « Qui m’a joué le tour de m’y jeter et de m’y laisser maintenant ? . . . Comment suis-je entré dans le monde ; pourquoi n’ai-je pas été consulté, . . . mais incorporé dans les rangs ? »)
La fin pour le moment—excepté les dernières observations ci-dessous.
Esquisse sur la notion du « primitif » employé antérieurement
Ça fait un moment que l’idée du primitif a été mal vu, le concept rappelant l’époque colonial (moins sophistiqué que le néo-colonialisme d’aujourd’hui) et l’arrogance de nous, les Occidentaux, face aux cultures des autres parties de monde, des cultures qui étaient aussi extraordinaires que la nôtre. Mais l’histoire honteuse et tragique de notre destruction de ces cultures ne devrait pas nous faire ignorer qu’il puisse exister des efforts et peut-être même des gens « primitifs » (rudes, peu réfléchis, manquant de sophistication). Plus loin, je proposerai qu’un primitivisme de cette sorte peut avoir de la valeur. Il pourrait représenter mieux l’état actuel de notre espèce—et nonobstant nos sophistications superficielles, la symphonie de nos sciences et la complexité de nos institutions et de notre technologie. Et ce primitivisme pourrait aussi créer une espace pour parler des possibilités, mettant de côté une quête absurde pour résoudre des problèmes insolubles. (Et qui sont, donc, plutôt les données de l’existence humaine que des problèmes.)
A noter que depuis deux ans Jean-François Chevrier donne un cours sur le primitivisme, à l’Ecole de Beaux-Arts à Paris. Quoiqu’il pousse d’autres portes que celles que je franchis dans ce texte-ci, son initiative suggère que le concept de primitivisme est en train d’être ré-envisager.
Une reconnaissance
La version française de ce texte n’aurait jamais vu le jour, ou elle n’aurait été que l’ombre de ce qu’elle est devenue, s’il n’était pour les contributions grammaticales, intellectuelles, et artistiques de Laure Bréaud. Ce qui ne signifie pas qu’elle est responsable des faiblesses de cet essai, celles-ci étant plutôt liées aux limitations (et à l’anglophonité) de l’écrivain lui-même.
Drücken/Exprimer : Dans Quand Freud voit la mer: Freud et la langue allemande (Buchet/Chastel, 1988), Georges-Arthur Goldschmidt tire l’attention sur la fait qu’en allemand le verbe drücken peut être utilisé avec l’idée de “s’exprimer” en mots et aussi de pousser de l’intérieure en cas de la constipation. Goldschmidt propose que l’Homme aux rats se trouvait coincé entre ces deux significations.
L’image est une reproduction d’un autoportrait de Bernin.
[…] powerfully down through the ages. (French readers might see also the comments on primitivisme in “Pourquoi écrire.” These concern how a more rude approach may reflect better (than pseudo-sophisticated, […]